Interview met Boubacar Traoré in Flagey
Na de dood van Ali Farka Touré lijkt zijn goede vriend Boubacar "Kar Kar" Traoré de logische erfgenaam van de Mali Blues. Bij Boubacar is dat vooral een combinatie van virtuoos gitaarspel en vaak melancholische teksten. De man is ondertussen de zestig ruim gepasseerd, maar van ophouden lijkt hij nog lang niet te willen weten. We voelen ons dan ook vereerd als hij ons wil ontvangen voor een gesprek, nog net voor hij het Brusselse Flagey podium op moet. Hij had de eer de "Blues from Mali to Mississippi"-tweedaagse af te sluiten, waar ook Vieux Farka Touré te gast was.Boubacar, tout d'abord bienvenue à Bruxelles. Comment se passe la tournée?
Boubacar Traoré: "Tout se passe très bien, merci!"
Vous avez quand même atteint un certain âge, qu'est-ce qui vous pousse d'encore vouloir faire de longes tournées internationales avec tous les inconvenances qui vont avec?
Boubacar Traoré: "Comme je suis musicien, je suis habitué à ça. Je suis né avec la musique. Bien sûr c'est parfois fatiguant à mon âge, mais comme je dis j'ai l'habitude."
Au Mali il y a la vieille tradition des griots, qui étaient des familles de musiciens de génération en génération. Vous n'êtes pas né dans une telle famille. Est-ce que c'était évident pour vous de devenir un musicien?
Boubacar Traoré: "Oui quand même… C'est mon grand frère (Maciré Traoré, red.) qui m'a appris à connaitre et apprécier la musique. C'est vrai qu'au Mali il existe encore cette tradition des griots, mais il y a aussi beaucoup d'autres castes. Moi par exemple je suis né dans une famille de nobles. Les choses ont évolué petit à petit et aujourd'hui il y a aussi beaucoup de musiciens maliens qui ne sont pas nés dans une famille de griots.
Vous venez de mentionner le fait que c'était votre grand-frère qui vous a introduit dans la musique et c'était aussi sur sa guitare que vous avez appris à jouer.
Boubacar Traoré: "Oui, c'est même la première guitare que je n'aie jamais vue. Je ne savais pas encore jouer, mais j'ai vu mon frère jouer et j'aimais cet instrument. Apres il a commencé à m'apprendre à jouer. Mon frère c'est un professeur de musique qui a étudié la musique à Cuba pendant huit ans. Je suis devenu musicien professionnel au début des années soixante, mais après mes débuts j'ai quitté la musique pendant des années. Dans ce temps c'étaient surtout les griots qui gagnaient leur vie avec la musique. Si on n'était pas griot, comme moi, on ne gagnait rien du tout. C'est pour cela que j'ai abandonné la musique pendant vingt ans. Je n'étais redécouvert qu'en 1991!"
Avant votre vocation musicale, il y avait encore une autre passion dans votre vie : le foot. Vous suivez le jeu encore?
Boubacar Traoré: "Je suis encore le football, mais je ne joue plus. Quand j'étais jeune, j'étais le meilleur footballeur de ma région le Kaye. A un certain moment avec cette équipe on gagnait chaque match! C'est d'ailleurs de là que vient mon surnom Kar Kar. Dans notre langue (le Bambara, red.), "kari kari" veut dire: "Celui qui dribble trop""
Votre surnom ne vient donc pas de la musique, mais du foot?
Boubacar Traoré: "Oui ça vient du football. Dans les années soixante, quand nous avons gagné notre indépendance, j'ai chanté un tube qui s'appelle "Mali Twist" - une adaptation du twist américain qui est devenu un succès fou dans tout l'Afrique de l'Ouest - et j'ai laissé le foot. Mais le nom est resté."
Le style de musique que vous jouez, ici en occident on l'appelle souvent le Mali blues. Votre compatriote et ami Ali Farka Touré n'aimait pas trop ce nom.
Boubacar Traoré: "Ali Farka Touré c'était quand même aussi un bluesman. Malheureusement il n'est plus là aujourd'hui. On a encore fait un documentaire ensemble (I'll Sing For You, red.). Il a fait de la musique profonde et c'était comme un frère à moi."
Vous avez développé un style unique de jouer la guitare qui, techniquement, est très proche de la manière dont on joue la kora (harpe africaine traditionnelle, red.).
Boubacar Traoré: "Oui, la kora est un instrument qui vient spécifiquement du Mali et qui compte vingt-et-une cordes. La guitare ne compte que six cordes, mais moi je la joue comme on joue la kora. On appelle ça jouer au double gamme. Si tu joues comme cela, tu donne l'apparence que c'est trois personnes entrain de jouer au lieu que seulement une. On peut dire que c'est ma signature."
Est-ce que vous enseignez cette technique aux générations futures?
Boubacar Traoré: "J'ai enseigné la guitare à des jeunes au Mali, mais maintenant que je deviens un peu plus âgé, je deviens plus vite fatigué donc j'ai laissé ça. Mais il y a encore beaucoup de jeunes qui passent chez moi pour faire un peu de musique ensemble."
A un certain moment vous avez quitté le Mali pour aller travailler en France. Vous avez donc vécu la vie de l'immigré Africain en Europe. Quel est votre message pour les jeunes qui eux aussi sont prêts à risquer leur vie pour tenter leur chance en Europe?
Boubacar Traoré: "Ils doivent vraiment réaliser que quitter l'Afrique pour aller vivre en Europe est une entreprise fatiguante. Certains vont à pied, des autres prennent le bateau ou encore l'avion. Tout dépend de la chance. Si tu as un peu de chance tu peux être heureux là-bas aussi. Vivre en Europe peut être très difficile, mais beaucoup de gens en Afrique ont du mal à comprendre ça. Il y a aussi de la pauvreté en Europe. Moi j'ai vécu deux ans en France, travaillant comme manœuvre. Heureusement pour moi, on a redécouvert ma musique et c'est pour cela que je suis ici aujourd'hui."
Encore une dernière question. Si on regarde l'Afrique de l'ouest, tous les pays voisins du Mali ont connu des guerres et de la misère. C'est quoi le secret qui a épargné votre pays de tout cela?
Boubacar Traoré: "Le secret du Mali, qui fait que nous n'avons pas de guerres ou des malentendus, c'est que chez nous tout est basé sur sa descendance. Moi je suis un Traoré, mais au Mali il y a aussi les Keita et les Sangare par exemple. Tous ensemble on vient de la même famille donc on ne peut pas se battre sans faire mal à nous-mêmes (Kar Kar referre ici au système des castes - dans lequel chaque famille avait son rôle essentiel à jouer - introduite par Soundiata Keita, fondateur de l'empire Mandingue, au treizième siècle, red.)."
Je veux vous remercier d'avoir pris le temps de nous parler.
Boubacar Traoré: "Merci à vous aussi."
Boubacar Traoré: "Tout se passe très bien, merci!"
Vous avez quand même atteint un certain âge, qu'est-ce qui vous pousse d'encore vouloir faire de longes tournées internationales avec tous les inconvenances qui vont avec?
Boubacar Traoré: "Comme je suis musicien, je suis habitué à ça. Je suis né avec la musique. Bien sûr c'est parfois fatiguant à mon âge, mais comme je dis j'ai l'habitude."
Au Mali il y a la vieille tradition des griots, qui étaient des familles de musiciens de génération en génération. Vous n'êtes pas né dans une telle famille. Est-ce que c'était évident pour vous de devenir un musicien?
Boubacar Traoré: "Oui quand même… C'est mon grand frère (Maciré Traoré, red.) qui m'a appris à connaitre et apprécier la musique. C'est vrai qu'au Mali il existe encore cette tradition des griots, mais il y a aussi beaucoup d'autres castes. Moi par exemple je suis né dans une famille de nobles. Les choses ont évolué petit à petit et aujourd'hui il y a aussi beaucoup de musiciens maliens qui ne sont pas nés dans une famille de griots.
Vous venez de mentionner le fait que c'était votre grand-frère qui vous a introduit dans la musique et c'était aussi sur sa guitare que vous avez appris à jouer.
Boubacar Traoré: "Oui, c'est même la première guitare que je n'aie jamais vue. Je ne savais pas encore jouer, mais j'ai vu mon frère jouer et j'aimais cet instrument. Apres il a commencé à m'apprendre à jouer. Mon frère c'est un professeur de musique qui a étudié la musique à Cuba pendant huit ans. Je suis devenu musicien professionnel au début des années soixante, mais après mes débuts j'ai quitté la musique pendant des années. Dans ce temps c'étaient surtout les griots qui gagnaient leur vie avec la musique. Si on n'était pas griot, comme moi, on ne gagnait rien du tout. C'est pour cela que j'ai abandonné la musique pendant vingt ans. Je n'étais redécouvert qu'en 1991!"
Avant votre vocation musicale, il y avait encore une autre passion dans votre vie : le foot. Vous suivez le jeu encore?
Boubacar Traoré: "Je suis encore le football, mais je ne joue plus. Quand j'étais jeune, j'étais le meilleur footballeur de ma région le Kaye. A un certain moment avec cette équipe on gagnait chaque match! C'est d'ailleurs de là que vient mon surnom Kar Kar. Dans notre langue (le Bambara, red.), "kari kari" veut dire: "Celui qui dribble trop""
Votre surnom ne vient donc pas de la musique, mais du foot?
Boubacar Traoré: "Oui ça vient du football. Dans les années soixante, quand nous avons gagné notre indépendance, j'ai chanté un tube qui s'appelle "Mali Twist" - une adaptation du twist américain qui est devenu un succès fou dans tout l'Afrique de l'Ouest - et j'ai laissé le foot. Mais le nom est resté."
Le style de musique que vous jouez, ici en occident on l'appelle souvent le Mali blues. Votre compatriote et ami Ali Farka Touré n'aimait pas trop ce nom.
Boubacar Traoré: "Ali Farka Touré c'était quand même aussi un bluesman. Malheureusement il n'est plus là aujourd'hui. On a encore fait un documentaire ensemble (I'll Sing For You, red.). Il a fait de la musique profonde et c'était comme un frère à moi."
Vous avez développé un style unique de jouer la guitare qui, techniquement, est très proche de la manière dont on joue la kora (harpe africaine traditionnelle, red.).
Boubacar Traoré: "Oui, la kora est un instrument qui vient spécifiquement du Mali et qui compte vingt-et-une cordes. La guitare ne compte que six cordes, mais moi je la joue comme on joue la kora. On appelle ça jouer au double gamme. Si tu joues comme cela, tu donne l'apparence que c'est trois personnes entrain de jouer au lieu que seulement une. On peut dire que c'est ma signature."
Est-ce que vous enseignez cette technique aux générations futures?
Boubacar Traoré: "J'ai enseigné la guitare à des jeunes au Mali, mais maintenant que je deviens un peu plus âgé, je deviens plus vite fatigué donc j'ai laissé ça. Mais il y a encore beaucoup de jeunes qui passent chez moi pour faire un peu de musique ensemble."
A un certain moment vous avez quitté le Mali pour aller travailler en France. Vous avez donc vécu la vie de l'immigré Africain en Europe. Quel est votre message pour les jeunes qui eux aussi sont prêts à risquer leur vie pour tenter leur chance en Europe?
Boubacar Traoré: "Ils doivent vraiment réaliser que quitter l'Afrique pour aller vivre en Europe est une entreprise fatiguante. Certains vont à pied, des autres prennent le bateau ou encore l'avion. Tout dépend de la chance. Si tu as un peu de chance tu peux être heureux là-bas aussi. Vivre en Europe peut être très difficile, mais beaucoup de gens en Afrique ont du mal à comprendre ça. Il y a aussi de la pauvreté en Europe. Moi j'ai vécu deux ans en France, travaillant comme manœuvre. Heureusement pour moi, on a redécouvert ma musique et c'est pour cela que je suis ici aujourd'hui."
Encore une dernière question. Si on regarde l'Afrique de l'ouest, tous les pays voisins du Mali ont connu des guerres et de la misère. C'est quoi le secret qui a épargné votre pays de tout cela?
Boubacar Traoré: "Le secret du Mali, qui fait que nous n'avons pas de guerres ou des malentendus, c'est que chez nous tout est basé sur sa descendance. Moi je suis un Traoré, mais au Mali il y a aussi les Keita et les Sangare par exemple. Tous ensemble on vient de la même famille donc on ne peut pas se battre sans faire mal à nous-mêmes (Kar Kar referre ici au système des castes - dans lequel chaque famille avait son rôle essentiel à jouer - introduite par Soundiata Keita, fondateur de l'empire Mandingue, au treizième siècle, red.)."
Je veux vous remercier d'avoir pris le temps de nous parler.
Boubacar Traoré: "Merci à vous aussi."